jeudi 24 décembre 2009

Le vertige sans rivage


(Lecteur, je te lègue cette page écrite non avec de l’encre mais avec la cendre de mon délire lucide, hélas trop tôt éteint. Cependant puisse t-il s’allumer aussi dans ton sein - ce délire, ce délit, ce délice - pour le plus grand mal et le plus grand bien du genre humain.)
Midi. Le soleil studieux brille dans le ciel studieusement bleu. Dans la ville les travailleurs studieusement travaillent, les patrons studieusement patronnent, les pochtrons studieusement se pochtronnent, les moribonds studieusement meurent, les mendiants studieusement mendient etc… Dans la salle de cours studieuse d’une université studieuse les cours suivent leur cours : studieusement les enseignants enseignent, studieusement les étudiants étudient, les sueurs studieuses roulent sur leur front studieux.
 
Quel ennui !
 
Mes tempes tempêtuent, le courroux me grille la cervelle, mes yeux s’injectent de sang, je vois rouge. Décidément tout est réglé comme sur du papier à musique sur cette terre qui tourne, tourne et tourne comme une ensorcelée. Je supplie les entrailles telluriques de bien vouloir se mettre à trembler, la terre, de s’ouvrir, pour engloutir d’un trait cette civilisation bête et disciplinée. J’invite les vents terribles qui saperont en quelques secondes le labeur millénairement acharné du genre humain. Je convoque les démons, pour que, remontés des régions inférieures, ils s’enivrent du sang et ripaillent de la chair des humains qu'ils auraient enfermés dans des geôles de flammes. J’implore, sur la terre, un déferlement de forces cosmiques, une pluie d’étoiles filantes, un déluge de bolides, un débarquement d’extra-terrestres, des hordes d’enfants féroces arborant des têtes d’adultes sur des pieux improvisés avec des pieds de chaises d’écolier, une lâchée de singes salaces dans une assemblée politique, n’importe quoi, n’importe quoi, pourvu que soit vaincu mon spleen, pourvu que se rompt la routine, pourvu que s’enraye la machine ! La grève sans revendication, la révolte sans merci ni pourquoi, un geste imprévu, une parole impromptue, des rires atroces, sans foi ni loi, des crises de larmes sans raison, ah sans raison!... Ce qu’il nous faut à tous, ce qui nous a toujours manqués, c’est le pur délice délictueux du délire sans yeux ! La pure impertinence acerbe de l’impénitence superbe ! La célérité scélérate des danses démentielles libératrices des instincts premières et essentielles ! Qu’avons-nous à perdre ? Rien. Tout à gagner à se perdre ! Fi des devoirs et des serments ! Assez de principes et de scrupules ! La vie n’est qu’un songe. Un songe... Mon âme est un pays d’obscurité incandescente traversé de cris sans échos. La fièvre infernale roussit mon corps. Les gens, en me rencontrant, se bouchent le nez, et détalent. Je brûle. Une fumée noirâtre s’enfuit de mes pores. Mes yeux sont les deux braises vermeilles d’un damné qui hurle son silence depuis la nuit des temps. Ma cervelle fond ! Je tremble ! Oui la vie n’est qu’un songe, un songe absurde. Mon âme ! C’est le naufrage ! Tout mon être s’insurge, plonge, se dissout et se purge en des ténèbres sans âge. Je renverse les tables, je brise les verres et marche nus pieds sur les éclats ; je titube, j’éructe la cendre, j’insulte et j’exulte comme un maudit sur les toits des taudis ; je rampe et je me tords d’horreur sur le pavé des grands boulevards. Je me lave avec de la fange, je me couche dans les bras des clochards ; je marche, je marche, je marche jusqu’au bout de la nuit, âme en peine.
À l’aurore, je tombai, harassé, sur les rives de la Seine.
Le Pestiféré

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