mardi 22 décembre 2009

Divagations nocturnes d'un SDF mental


Quand va-t-on arrêter de formater les enfants pour en faire des modèles types de l'adulte parfait ? On fait des garçons des petits durs, conditionnés à braver le monde pour obtenir ce qui leur semble être juste, vrai et bon. Les petites filles sont conditionnées à être de petites machines à satisfaire le regard d'en face : jolies, gracieuses, discrètes et soumises. L'alliance des deux finit par rendre un cocktail détonnant de niaiserie ou d'amertume et de frustrations : puisque le couple est censé vivre heureux pour toujours (et encore une fois le toujours est relatif, mais ce n'est pas le propos).

Le garçon naît et se retrouve enfermé dans un monde aux couleurs froides, plus tranchées, le bleu : le bleu de l'uniforme, le bleu de la virilité. On lui met d'emblée dans les mains des voitures, des robots, des petits trains et s'il a le malheur de s'intéresser de trop près aux poupées de sa sœur, on crie au ratage éducatif (d'une mère trop oppressante ou d'un père absent). Le garçon jouit ainsi d'un sentiment exalté de possession matérielle, de toute-puissance guerrière, de sa testostéronisation en marche. La fille, elle, porte des couleurs chaudes, car elle est condamnée à la partie émotive de l'appréhension de la vie : l'amour, la famille, ou le secrétariat qui reste de l'assistanat. Son but dans la vie n'est autre que de rendre l'homme (qui la choisira) heureux. En effet, Cendrillon, comme Blanche-Neige accessoirement foutue à la porte parce que sa belle-mère avait peur de plaire moins aux hommes, et toutes les autres petites princesses sont choisies par le prince qui la voit, la trouve appétissante et la réquisitionne jusque dans sa propre maison pour la ramener dans son antre. Là-bas, elle trouvera du confort pour y couver les petits oisillons que son prince lubrique lui aura concoctés. Et l'histoire recommencera encore et encore.

Le bonheur, même apparent, est toujours préférable à la solitude ou à l'indépendance. La société veut que « ces deux êtres si imparfaits et si affreux » fassent semblant de ne pas l'être et simulent l'accord parfait. Pourquoi perpétue-t-on cette mascarade pour rentrer dans ce moule qui n'a plus d'âge et qui n'est même plus adapté aux mœurs d'aujourd'hui ? Parce que sans cela, ce serait le chaos sociosentimental : on préfère divorcer dix fois, composer-décomposer-recomposer à loisir les familles plutôt que d'admettre qu'on en demande trop à l'autre. Il faut rendre le change pour pouvoir faire la morale à ses enfants, il faut un ordre des choses pour accepter un ordre extérieur. La norme s'impose comme une évidence, tu as 30 ans, tu dois te marier puisque tu as un bon poste et ta propre maison. Mais si tu n'as rien de tout ça, tu es un inadapté social à moins que tu ne sois homosexuel ou stérile (ce qui est envisagé à peu près de la même façon). C'est l'ordre social qui exige de toi un certain nombre de passages, de rites initiatiques pour prouver que tu es inséré, à ta place.
Mais l'autre n'est pas parfait, l'autre n'est pas ce stéréotype qu'on attend de lui. Nous ne sommes pas, d'ailleurs, ce que nos parents attendaient que l'on soit : on est tous la déception de quelqu'un. On se pose en juge, en exigeant de celui sur lequel on fait reposer nos espérances sociales ce qu'on n’est pas capable de se procurer seul. C'est tellement plus facile de rendre l'autre responsable de ses propres échecs, pas d'introspection, pas de remise en question : si ça ne marche pas, c'est que l'autre ne nous comprend pas, ne nous aime pas assez, pas assez bien. Peut-être que tout le problème est là, dans la responsabilisation : se demander si on est vraiment prêt à partager une vie avec tous ses accrocs, avec quelqu'un, sans faire reposer sur l'autre nos frustrations et nos doutes et accepter, quoiqu'il arrive , qu'on reste responsable de nos vies, individuellement en se disant : « ma vie ne me satisfait pas, tu me fatigues parfois, je ne suis pas d'accord sur tout avec toi souvent, mais sans toi, ce serait pire ».
 
BHL

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