Durant cette année scolaire 2005-2006, nous avons cru nous révolter, faire entendre notre voix, vaincre un gouvernement, par son recul et le retrait d’une mesure qui était, certes inéquitable, mais surement pas l’essentiel…
Nous sommes-nous vraiment révoltés, désirions-nous vraiment et seulement le retrait de cet article de loi, la lutte n'a-t-elle pas fait émerger d'autres perspectives ?
Était-ce une victoire, qui nous enlevait par son essence toute raison de nous insurger encore ou était-ce, avec le retrait de cet article, à notre propre enterrement que nous allions en cette fin de printemps 2006, en mettant fin à une lutte de plusieurs mois ?
Ce cessez-le-feu imposé d'on ne sait où, ne signifiait-il pas la fin de nos espoirs et la mise au rencart de nos rêves et du peu de liberté gagnée par la capacité à s'autoorganiser acquise, expérimentée, dans les coordinations, AG, ou comités ?
Pour comprendre ce merveilleux sursaut, cette volonté de choisir un autre destin, dans un monde qui nous pousse à faire tout le contraire et à ne penser qu'à ses intérêts individuels.
Nous qui nous demandons aujourd’hui si nous avons vraiment fait tout ça pour quelque chose de valable, qui en valait le coup et quelle pouvait être cette raison de résister à un mouvement, une précarisation qui n'a cessé d'empirer depuis.
Aujourd'hui, quatre ans après, alors que Sarko police est devenu Sarko Premier, nous avons plus que jamais le besoin d’appréhender ce rêve général, qui peu de temps après (au regard de l'Histoire), nous laisse beaucoup de souvenirs, des bons, des mauvais. Il reste aussi peu de compréhension sur les origines de tout ça (certains hommes sur vous diront « le CPE ! » ou « le capitalisme bien sûr », mais pour moi rien n'est évident), même pour ceux qui l’ont vécu de l’intérieur, une étrange sensation d’amertume, de désillusion et l’impression quoiqu’il en soit d’être les dindons de la farce, demeure.
Donc pour saisir toutes ces données compliquées et parfois douloureuses, il nous faut faire un petit retour en arrière et comprendre dans les grandes lignes ce qu‘il a pu vraiment se passer ?
C’était dans un contexte politique, baigné dans une atmosphère préélectorale, avec une gauche qui se gauchisait comme avant chaque élection et une droite qui se droitisait. Les élections devaient se tenir environ un an plus tard. Aussi, une exaspération montait, plongeant si je puis dire, ses racines dans une suite de mouvements et révoltes avec quelques moments « marquants », d’avril 2001 au référendum sur la constitution européenne avec son rejet, désaveu d'un peuple qui depuis Maastricht n'était plus dupe. Un État ne voulant entendre les états d'âme d’une population réduite à sa valeur marchande. Le mouvement contre la LEC fut à ce moment-là un cri avant tout de multiples frustrations, mécontentements, de mouvements sociaux précédents qui se retrouvèrent dans une émotion qui a semblé un temps submerger le quotidien, occupant le temps médiatique et les esprits. Plus tard une fois récupéré et transformé en outil médiatico-électoral, ce sursaut qui n'attendait qu'un prétexte ne fut réduit qu'à peau de chagrin, un vulgaire CPE retiré par le mercenaire droit dans ses bottes et puis s'en va.
Récupérés et customisés médiatiquement, ceux qui l'ont vécu purent observer le décalage qu'il y avait entre ce qu'ils voyaient et la réalité médiatique.
Localement, Censier, plus tard appelé « fort Allamo », référence à ces yankees barricadés dans leur forteresse, dans le désert, ne fut pas en reste.
Au commencement de ce deuxième semestre, après la tentative de personnes isolées et syndicats de mobiliser sur une loi apparue quelques mois plus tôt, les premières AG se tenaient à Paris 3.
Après un début un peu laborieux, les AG se succédant, dans la fièvre des premières prises de parole, nous décidions de bloquer la fac et ainsi suivre l’exemple d’autres universités qui s’étaient déjà mises en grève.
Dans les premiers temps, ce mouvement ressemblait à tous les autres : leaders, prises en main des organes syndicaux, éternel slogan et éternelle marche à la banderole, abonnée au bastille-nation salut !
Mais très vite quelques électrons libres rejoints par d’autres fortes têtes fuyantes l’organisationnite aigüe des AG et des commissions, se sont tant bien que mal, lancés dans un concerto qui devait prendre une autre résonance.
Après coup, cette symphonie a été pendant trop peu de temps menée par le chef d’orchestre qu’est la populace estudiantine, les étudiants sont sortis de leur fac et des chemins balisés, et d'un pas dissonant mais sublime, ignorant les parcours de manifestation négociés avec les préfets, ils ont occupé fac, gare, autoroute, aéroport, perturbé les flux économiques, prenant à la gorge et où ça faisait le plus mal, le gouvernement.
Ils ont renoué avec des notions passées, voire dépassées, de résistance, révolte, utopie…
Dans les AG souveraines et les coordinations nationales, ils ont dépassé le simple cadre du CPE pour finir par appeler au paroxysme à la grève générale et à la démission du gouvernement. Grève générale, quelle idée nous avons eue !
Avec un panache, un courage et une insouciance propre aux âmes jeunes, ils se sont affrontés aux CRS, aux gardes mobiles, pour finir par réinvestir et se réapproprier ce Quartier Latin, place de toutes les luttes parisiennes passées, avec son donjon, sa bastille, symboles des mouvements étudiants qui partent en couille, la Sorbonne.
À ce moment, plus que prendre en otage l’économie, gagner à notre cause l'opinion, attirer tant bien que mal, finalement, l’attention de média qui restait quoi qu'il en soit partial, nous nous sommes réapproprié le pouvoir, de choisir, de décider, penser ce que l’on veut ou pas d’une façon, plus libre que jamais.
Les gens les témoins passifs, à l'opposé des témoins directs de cette pousse vite oubliée, crurent à une victoire, lors de l'annonce du retrait de cette loi, orchestrée en péroraison (à par Villepin), les acteurs du mouvement Ko sur place étaient en train de se rendre compte, à l'appel de démobilisation qu'ils avaient été floués. Finis les rêves de changement, finis les rêves et revendications nées de la lutte, place au vote et à l'enterrement de notre souveraineté.
Alors malgré ce que l’on pouvait attendre de ce bourgeon qui était en train de germer, l’État, avec ses organes de contrôle, les médias, et son institutionnalisation des luttes par les syndicats et leurs cadres dirigeants (car la base bien souvent suivait ce mouvement démocratique), ont au prix de manœuvres abjectes et au prix de la manipulation des étudiants, du pays, réussirent à remettre le couvercle sur une marmite qui s’apprêtait à déborder.
Après coup, aussi commence à se dessiner l'évidence d'une révolution dans un mouvement permanent qui est en marche, un jour tous pousseront dans le même sens. La mémoire comme les capitaux se transmet et heureusement nous donne encore la possibilité d'éviter certaines erreurs et ainsi continuer à dessiner un rêve et un avenir commun.
Notre hyperbolisme, notre capacité d'indignation, l'hystérie d'une population, un soir de carnaval, consument ses espoirs dans un feu de colère, nous permettrons de quitter cette raison, ce bon sens qui nous pousse encore chaque jour à supporter la charrue.
Abandonnons-nous dans cette danse macabre des fous du capitalisme et dans un ciel rougeoyant nous verrons se lever l'aube d'un monde nouveau.
Coquelicot