La Révolution crée un nouvel imaginaire qui inverse la source du pouvoir. Avant elle était transcendante et découlait de Dieu. Désormais elle émane du peuple.
Les principes déterminés par la nouvelle classe au pouvoir issue de la révolution et qui avaient été rendus possible par la victoire du peuple, sont évidemment favorables à la bourgeoisie et marque sa victoire sur la monarchie absolue, mais également sur les aspirations populaires qui sont une menace pour ses intérêts. Ces principes sont : séparation du pouvoir politique de l’état de la société civile, égalité (de principe) devant la loi (de principe et non de fait, démocratie représentative et parlementaire, protection de la propriété privée (quelle qu’en soit le niveau). Ce « nouveau bloc imaginaire » définit, délimite et régit désormais l’univers mental des représentations, symbole, idéologie politique, incluant toute idée ne remettant pas en cause les fondements de son pouvoir et excluant, marginalisant de fait les idées qui la débordent et ou dépassent.
Cette coercition sociale retombe aussi sur les individus qui pour quelque raison que se soit, défendent des idées devenues hors normes. Cette marginalisation est plus ou moins violente suivant le niveau d’antagonisme de classe et le conformisme à l’horizon acceptable de la démocratie. En effet dans notre société d’ hyper consommation, où la norme et le conformisme sont exacerbés, et malgré la légalité imposée par l’histoire de l’expression du peuple et de ses volontés à travers la grève, on constate une répression ouverte , juridique, sécuritaire, sociale de toute personne remettant le système en cause de façon radicale, c’est à dire dans ses fondements même (qui établissent politiquement la domination du modèle économique capitaliste). Ainsi peut-on constater par exemple comment une simple dégradation de matériel, dans l’affaire des inculpés de Tarnac, conduit à une accusation de terrorisme, anathème indéfendable au vu de l’histoire récente, faisant risquer au présumé innocent une vingtaine d’années renouvelable « si danger pour la société », bien sûr incarné et personnifié par Sarkozy le petit. Remettant à l’ordre du jour du même coup des équivalents, de la lettre de cachet d’ancien régime (pour le temps d’emprisonnement illimité) et les lois d’exceptions dite scélérates qui emprisonnaient toute personne convaincue d’anarchisme, condamnant non pas l’infraction à la loi mais les idées.
La révolution révèle deux types de liberté, l’une des anciens, qui plonge son origine dans la démocratie antique des grecques, l’autre des modernes, dont Benjamin Constant, modèle des libéraux parle. Pourtant aujourd’hui dans l’esprit des gens existe une confusion entre ces deux types de liberté la première positive, la deuxième négative.
La démocratie des grecs fait découler le pouvoir politique pour la première fois non plus des dieux mais du peuple, le démos. La liberté naît de la participation collective au sein de l’agora des citoyens, ils sont acteurs de ce pouvoir et non pas sujets. Ceci est volonté positive ou pouvoir de faire collectivement potentia (la puissance). L’autre liberté celle des modernes découle du pouvoir de l’état, séparé de la société civile. Ce pouvoir, ou potestas , est le légitimitée de contraindre et d’imposer l’ordre dans ce cas capitaliste. Cette liberté de par son aspect entendu historiquement, est sur la défensive, car ce sont des droits déjà acquis, qu’il faut défendre. En effet, dans ce « système » on ne lutte pas pour obtenir ou imposer de nouveaux droits, mais pour conserver ceux déjà acquis. L’état par son existence en dehors ou au-dessus de la société civile finit par se dissocier de la volonté des citoyens, voire s’en défendre, en allant alors contre la liberté de ceux-ci. L’état est donc le pouvoir, la nation, il n’est plus le peuple, il n’est plus le pouvoir émanant du peuple, il n’est plus une démocratie. Ce pouvoir est une dictature molle à apparence démocratique, jouant sur la confusion historique dans l’esprit des gens issue de la révolution, jouant aussi sur l’amnésie généralisée, ce système reprend l’image caricaturale d’une démocratie telle que le peuple la connait, telle qui l’a comprise et lui renvoie cette image. D’autres régimes dictatoriaux par exemple moins subtiles l’ont compris, c’est ainsi que l’on peut voir par exemple un Poutine, brandir le vote du peuple pour élire ses maîtres, ou le respect de la propriété privée et ainsi dire « nous sommes une démocratie ». Mais la démocratie qui fonde la liberté des individus dans la société, ne peut pas être résumée au suffrage universel ou au droit de commercer « librement » entre possédants.
La révolution dans les principes quelle développe, est héritière aux yeux de la bourgeoisie de la pensée de hobbes, locke, montesquieu, rousseau. La démocratie libérale bourgeoise rend inséparable l’existence de celle-ci de l’état de droit et de la représentation du pouvoir. Souvent l’argument pour justifier cette dissociation, qui n’était pas présente à l’origine dans l’idée de démocratie entre l’état et le peuple est expliqué par le fait que le peuple n’a pas le temps, ni l’envie, ni la capacité de gouverner, le rôle revient bien sûr à une élite éclairée. Certes le peuple enchainé à la nécessité du quotidien n’a pas le temps de se consacrer à la cité, harassé il n’en a pas non plus l’envie, l’état par sa vue d’ensemble, de son nuage, verrait mieux que les individus ce qu’il leur faut. Baliverne, certes le citoyen a besoin de temps pour remplir son rôle, de connaissances auxquelles il doit avoir accès sans limitation, car connaître et comprendre la réalité est le seul moyen de la changer, mais dire qu’il n’est pas bien placé pour savoir ce qu’il veut pour sa vie est un mensonge qui cache une autre réalité, il n’a plus le pouvoir de décider. Malheureusement, les seuls moments de l’histoire où le peuple l’a eu c’est quand il était en arme et qu’il imposait sa volonté par la menace ou la force. C’est pourquoi un des inspirateurs de la démocratie moderne john Locke a pu dire que si les législateurs « tentent de saisir et de détruire les biens du peuple, ou de le réduire à l’esclavage d’un pouvoir arbitraire, ils entrent en guerre contre lui ; dès lors il est dispensé d’obéir » (dans le même esprit, voir l’article 35 de la constitution de 1793).
L’idée-force de la souveraineté du peuple, qui venait de l’antiquité et de la démocratie directe, cette idée que le pouvoir politique émane de la société (la polis), des citoyens quel qu’ils soient et qu’il est exercé par eux. Ceci représentait une menace aussi bien pour la monarchie que pour la convention nationale pouvoir bourgeois issue de la révolution.
En dépossédant le citoyen du pouvoir politique qu’il délègue, le parlement met un terme à l’idéal d’un « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », car « A l’instant que le peuple se donne des représentants, il n’est plus libre, il n’est plus» (Rousseau).
Au moment où la Révolution temporairement se clôt par le coup d’état de Napoléon, la bourgeoisie l’emporte en fixant définitivement et historiquement les limites de la démocratie à son profit rejetant tout autre forme de démocratie y compris celle(s) qui refléterait plus fidèlement les aspirations du peuple, qui subjectivement commence à ce vivre comme lui étant antagoniste.
Certains comme fukuyama, ont pu prôner la fin de l’histoire. Mais cette constatation ne reflète qu’une supercherie au vu de cette même histoire, ça serait la fin des grands récits, le peuple ne pourrait plus imprimer sa volonté au cours des évènements, alors même que cette « fin d’histoire », ces événements qui seraient l’acte ultime et dernier de libération, est la résultante de cette volonté.
Après 1945 et le désarmement du peuple en arme dans les rangs des FFI par De gaule, après 1968 la dernière « poussée » révolutionnaire, ce discours pousse dans les consciences cette idée de fin d’histoire. La population comprenant qu’elle ne peut plus être l’instigatrice d’un pouvoir institué par elle même, tombe dans un repli apolitique et acritique les retranchant « à la sphère sans relief de leurs affaires, de leur maison, de leur travail, de leur télévision, de leur loisirs ». Les citoyens retranché à leur sphère privée « occupés qu’ils le sont dans l’idiotie sans poids de leur affaires personnelles », se sentent de plus en plus isolés, désarmés dans un tissu social désormais trop distendu pour produire une réaction de classe du peuple.
Rousseau parlait de « volonté générale », terme vague qui laisse penser à certain que c’est celle du peuple, pour ceux qui sont au pouvoir c’est ce qui est bien pour le peuple, confondant souvent leurs intérêts, ceux du peuple, dans une entité encore moins nette, l’intérêt de la nation. De ce fait déportant l’intérêt du peuple à la nation c’est à dire l’état. Dans une démocratie la société nait du pouvoir du peuple, elle n’est pas insufflée par le haut, par l’état. Cette dépossession du pouvoir instituant du peuple, potestas est une expropriation opérée par ces nouveaux maîtres et par la perte du sens de l’histoire du peuple.
Louis Blanc dans son histoire de la révolution (1847) dit que si la bourgeoisie a vraiment gagné avec la révolution, elle n’avait pour le peuple qu’une valeur symbolique. Plus tard la révolution de 1830 organisée par la bourgeoisie libérale et préparée au péril jacobin, a réussi à démobiliser le peuple avant qu’il s’aperçoive qu’il avait été trompé. Malheureusement même quand le peuple en arme est maître du pouvoir il finit par se le faire perdre car « rééduquer le peuple dans l’amour de la liberté est plus difficile que de conquérir la liberté » (Babeuf ).
Aujourd’hui élevé dans un bain de peur permanent, on essaie d’associer dans les consciences l’idée de révolution à la terreur jacobine et montagnarde. Confusion entre dictature du peuple, venant d’en bas et la dictature de type bonapartiste et jacobine venant d’en haut. Robespierre considéré comme un des révolutionnaires les plus radicaux substitue l’action du peuple à une action au nom du peuple. Cet intérêt général qui se confondra plus tard avec la raison d’état. Certes la révolution fut violente, elle le fut bien moins que les tortures et persécutions qu’a subies le peuple durant l’ancien régime. Tout mettre dans le même sac c’est aussi ridicule que de comparer la violence d’une vitrine de banque brisée aux violences des matraques, des gaz, ou bien des violences sociales et économiques, que la société endure, ou alors parler de violence pour une pierre jetée sur un crs surarmé et parler de pacification contre les terroristes islamistes, lorsque l’on bombarde les populations civiles en apportant dit-on la démocratie et la liberté au bout du fusil d’une armée d’invasion. D’ailleurs pour illustrer cette falsification historique il est intéressant de laisser parler un éminent homme politique et défenseur de la liberté, un politicien de cette gauche « sérieuse » dite de gouvernement, Michel Rocard. Il dit dans faite au bicentenaire de la Révolution que l’intérêt de 1789 c’est « d’avoir convaincu beaucoup de gens que la révolution, c’est dangereux et que, si on peut en faire l’économie, ce n’est pas plus mal ».
La population est endormie par le régime dans une jolie histoire fondatrice qui fait de nos conquêtes des chimères, nous interdisant tout renouvellement de cet acte fondateur qui fut cependant si « constructif » pour les français. Elasse nous avons oublié que «Empêcher la transcroissance de la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne, faire les choses à demi, c’est s’exposer à perdre ce qui a été conquis ; laisser subsister un seul privilège, c’est s’exposer à les voir renaître tous ».
Walter benjamin dit « quiconque domine est toujours l’héritier des vainqueur », on peu dire aussi que les dominés sont les héritiers des vaincus de l’histoire. Mais chaque bataille qui n’a pas consacré la victoire du peuple, mais qui l’en a rapproché oblige les puissants à reconnaître ces libertés, au risque de voir ce peuple déterrer la hache de guerre, du moins tant que ce peuple garde la mémoire des luttes donc des libertés gagnées dans le passé.
On ne peut nier qu’il existe un cycle des révoltes, comme le disait Marx lorsqu’il comparait la lutte des classes à l’histoire de l’humanité, ce mouvement permanent, révolution, réaction, trahison, répression, est en flux et reflux, il suffit pour ça de ne regarder que l’histoire française. Mais à chaque poussée révolutionnaire La société ne revient jamais totalement sur son point de départ. La révolution un jour recommence et dépasse le stade auquel elle s’était arrêtée, à condition pour cela qu’on s’en souvienne.
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